“LA PERSECUTION CONTINUE”
JEAN ZAY (1904-1944).
Diffamé de son vivant et exécuté par la Milice, ce républicain laïque acharné mobilise encore contre lui les préjugés antisémites de l'extrême droite
Durant mon enquête sur Jean Zay, j'avais bien sûr été frappé par l'amnésie collective dont était victime un homme aux éclatantes vertus civiques et au bilan ministériel inégalé. Je le suis aujourd'hui par la tempête de protestations née à l'annonce de sa panthéonisation.
Or, par son départ à bord du « Massilia » vers le Maroc pour continuer le combat le 20 juin 1940, par le procès inique et truqué (au prix d'un faux initial que j'ai découvert) que lui intenta Vichy pour une imaginaire « désertion en présence de l'ennemi », par sa condamnation, le 4 octobre 1940, à la même peine de déportation que Dreyfus, par sa rédaction en prison des comptes rendus, ensuite diffusés par la Résistance, du procès de Riom contre Blum et Daladier, par ses liens, encore, avec l'Organisation civile et militaire, Jean Zay était ô combien un authentique résistant. De la première heure jusqu'à son assassinat, le 20 juin 1944. Ce qui fut officiellement reconnu après guerre par l'arrêt de réhabilitation de la cour de Riom du 5 juillet 1945, comme par l'attribution du certificat n° 10779 au titre de « résistant isolé » le 10 mars 1949. Isolé, c'est bien le mot. Et c'est encore de l'isoler que tentent les héritiers actuels des antisémites et antirépublicains d'hier.
Grâce à la générosité de ses filles Catherine et Hélène, qui me permirent de consulter les archives familiales, il m'apparut que c'était sans doute justement à cause de sa valeur républicaine que l'action de Jean Zay fut occultée. Force est de constater que son intense activité militante, pour les droits de l'homme, la laïcité et la République, non moins que son orientation résolument unitaire ne cessèrent de gêner et de mettre en échec la droite et l'extrême droite orléanaises.
Militant radical-socialiste de toujours, Jean Zay fut en 1932, à seulement 27 ans, le plus jeune député de France. Il devint alors, en un temps record, le dirigeant reconnu de l'aile gauche de sa formation politique et l'artisan résolu de l'alliance entre les trois grands partis de gauche (radicaux, socialistes et communistes). C'est ainsi que le 10 février 1935 le Front populaire était virtuellement constitué dans le Loiret, avant même que d'être mis en route au plan national. Son action lui valut de devenir, en janvier 1936, sous-secrétaire d'Etat. Mais surtout, de juin 1936 à septembre 1939, et avec l'appui de Léon Blum, l'inamovible ministre de l'Education nationale et des Beaux-Arts du Front populaire. La droite, extrême ou non, lui en voulut d'autant plus d'être le ministre de « l'Ecole sans Dieu ».
Mais c'est dès sa première campagne de 1932 que la droite orléanaise l'attaqua violemment. Sur un texte qui lui avait été volé et qui fut publié contre son gré en 1933 par le journal maurrassien « l'Action française » : « le Drapeau », un pastiche dans le style de l'antimilitariste Gustave Hervé (devenu par la suite un thuriféraire de Pétain...). De même, alors que, non mobilisable, il choisit dès 1939 de rejoindre le front, l'extrême droite ne cessa de le dépeindre comme un déserteur. Ce qui lui coûta en 1940 sa liberté, en 1944 la vie, et aurait pu lui coûter post mortem son honneur.
Ces attaques procédaient au fond du mythe augustinien du Juif errant, renouvelant le mythe patristique du peuple déicide et celui, inquisitorial, de la pureté du sang. Mais aussi du mythe vaticano-orléanais de Jeanne d'Arc. Autrement dit, pour combattre efficacement ce symbole de la République qu'était Jean Zay, la droite extrême ou non eut recours à tous les mythes fondateurs de l'antisémitisme. La haine raciste fut du reste l'arme politique absolue utilisée contre tous les grands « juifs d'Etat ». D'une certaine manière, Zay, d'origine juive par son père mais protestant par sa mère et agnostique par choix, en est mort. Assassiné par la Milice, héritière de l'imaginaire national-catholique.
C'est à cette aune qu'il faut mesurer la virulente campagne contre le transfert des cendres de Jean Zay au Panthéon. Déclenchée par une quarantaine d'associations d'anciens combattants, pour beaucoup proches de l'extrême droite antirépublicaine (dont seulement deux se sont dissociées), immédiatement relayée par un article du fascisant « Rivarol », elle se poursuit avec encore plus de préjugés antisémites sur internet. En somme, pendant la panthéonisation, la persécution continue.
( * ) Avocat des parties civiles durant les vingt-trois ans de l'affaire Papon, GÉRARD BOULANGER a notamment publié chez Calmann-Lévy « le "Juif" Mendès France. Une généalogie de l'antisémitisme » (2007) et « l'Affaire Jean Zay. La République assassinée » (2013).
Retrouvez l'intégralité de l'article de Gérard Boulanger sur Bibliobs.com: http://bibliobs.nouvelobs.com/idees/20150520.OBS9245/jean-zay-la-persecution-continue.html