Dix historiens publient: "Le patriotisme de Jean Zay devant l’Histoire"
Les historiens suivants
Claire Andrieu,
Jean-Piere Azema,
Marc-Olivier Baruch,
Serge Berstein,
Jean-Noël Jeanneney,
Pascal Ory,
Antoine Prost,
Jean-Pierre Rioux,
Annette Wieviorka,
Michel Winock
publient dans Le Monde.fr ( * ) :
“Le patriotisme de Jean Zay devant l’Histoire”
Une campagne jette le discrédit sur Jean Zay en s’appuyant sur un texte intitulé « Le Drapeau » pour nier son patriotisme et le rendre indigne du Panthéon. Rappelons donc les faits.
1/ Le texte est authentique, et J. Zay n'a jamais contesté l'avoir écrit. Il a été volé et publié par le journal monarchiste d'Orléans lors de la campagne électorale de 1932, puis repris par l'Action française, Gringoire, Je suis partout etc...
2/ J. Zay s'est expliqué sur ce texte devant les Députés, le 31 janvier
1936, lors de la constitution du gouvernement Sarraut où il était secrétaire d'Etat à la Présidence du Conseil. :
"Sur la nature, la date, le caractère fantaisiste et strictement privé d'un papier
qui remonte à douze années, alors que je suis aujourd'hui encore l'un des plus jeunes d'entre vous [...] on sait qu'il s'agissait d'un pastiche littéraire".
Deux
points ne sont pas contestés : c'est un texte de jeunesse ; il n'était pas destiné à être publié.
Un troisième point est certain : le pacifisme de Jean Zay à l'époque, 1923-24 ("il y a douze
années") où il a écrit ce texte. Dans le contexte d’alors, ce pacifisme n'a rien d'original.
La qualification de "pastiche littéraire" ne peut être écartée. Les
écrits de J. Zay à l'époque, notamment les billets qu'il donne à une revue littéraire locale, Le Grenier, rendent crédible qu'il ait voulu écrire un "à la manière de" Gustave Hervé.
Rappelons que ce professeur fut révoqué en 1901 pour avoir conclu un article en plantant le drapeau dans le fumier, avant de devenir pendant la Guerre, l'un des patriotes les plus jusqu'au boutistes.
3/ J. Zay a désavoué ce texte. Devant les députés, il poursuit :
" A la question qui m'est posée, je réponds : Si le texte qui a été produit était, et ce n'est pas le cas, l'expression d'une opinion sérieuse et réfléchie, l'homme que je suis le repousserait
avec horreur et, ayant voté ici les crédits concernant la défense nationale, attesterait avec force, quels que puissent être les commentaires, la loyauté de son patriotisme".
Après quoi
M. Xavier Vallat, qui deviendra le premier Commissaire aux questions juives de Vichy, se dit "extrêmement satisfait de ce que M. le président du conseil [...] ait permis à M. Jean Zay de s'expliquer comme il vient de le faire".
Devant une déclaration aussi claire dans une enceinte aussi solennelle, on ne peut prétendre qu'il n'a jamais retiré ses propos. Les associations patriotiques sont plus difficiles à satisfaire aujourd’hui
que M. Xavier Vallat en 1936.
4/ Sur le patriotisme de J. Zay, trois éléments supplémentaires :
-
le comité du Front populaire du Loiret avait commencé par refuser J. Zay, car les pacifistes lui reprochaient d’avoir voté les crédits de la Défense nationale. Il a fallu qu’il revienne à la charge pour
être admis.
- comme ministre, sa position envers le pacifisme des instituteurs a fait l’objet d’une question lors de la discussion de la loi sur l'obligation
scolaire, le 6 août 1936. Voici sa réponse :
"Le gouvernement et le ministre de l'éducation nationale [...] réprouvent avec netteté toute doctrine,
toute thèse qui, surtout dans les circonstances internationales actuelles, tendraient à nier la défense nationale et à paralyser l'éventuel sursaut du pays si son indépendance et sa sécurité étaient
menacées. Il pense que Jaurès lui-même se serait insurgé contre des raisonnements dangereux qui tendraient à faire oublier qu'aujourd'hui il peut arriver que la défense nationale se confonde avec la défense même
de la liberté [...] Il pense qu'il serait plus étrange encore que scandaleux [...] de soutenir une thèse [...] qui tendrait à cette conclusion qu'on devrait se lever contre les menaces intérieures de fascisme ou de dictature,
comme le pensent tous les républicains, mais que, par un tragique et invraisemblable paradoxe, seules les menaces de la dictature ou du péril extérieur ne rencontreraient point de résistance et verraient les portes s'ouvrir devant
elles". Et il affirme sa volonté de faire respecter la neutralité de l'école et de ne pas laisser la propagande pacifiste y pénétrer.
- J. Zay pouvait rester
ministre à la déclaration de guerre. Il a démissionné et rejoint l’armée.
5/ Sur J. Zay, victime
et pas résistant, deux éléments :
- La résistance a-t-elle commencé avec l'armistice et l'occupation ? J. Zay était incontestablement partisan de résister à Hitler ; c’est
pourquoi il reste au gouvernement après Munich. D'ailleurs les mêmes journaux d'extrême droite qui s'indignaient du "drapeau" ont publié en 1942 ses carnets plus ou moins tronqués, eux aussi volés, pour prouver qu'il
était partisan de résister à l'Allemagne nazie et voulait donc la guerre. Ceux qui se sont embarqués comme lui sur le Massilia voulaient continuer la guerre. En l’assassinant, la milice de Vichy n’a pas fait seulement
payer à J. Zay ce qu'il était (franc-maçon, eux-disant juif, grand maître d'une université exécrée, ministre d'un Front populaire non moins exécré), mais aussi le combat politique qu’il avait
mené après Munich.
- J. Zay en prison avait des contacts avec la résistance, puisque l'on a retrouvé dans ses papiers le manuscrit d'un projet de « ministère de
la vie culturelle » qui a été publié par l'Organisation Civile et Militaire de la résistance dans son deuxième cahier.
Les historiens savent que la haine politique est durable. La campagne actuelle le confirme.
Claire Andrieu, Jean-Piere Azema, Marc-Olivier Baruch, Serge Berstein, Jean-Noël Jeanneney, Pascal Ory, Antoine Prost, Jean-Pierre Rioux, Annette Wieviorka, Michel Winock
( * )
24 avril 1915: Le génocide arménien
Le samedi 24 avril 1915, à Constantinople (*), capitale de l'empire ottoman, 600 notables arméniens sont assassinés sur ordre du gouvernement. C'est le début d'un génocide, le premier du XXe siècle.
Il va faire environ 1,2 million de victimes dans la population arménienne de l'empire turc. Sur les horreurs de ces massacres, voir la vidéo ci-contre de l'INA (1982).
La République turque, qui a succédé en 1923 à l'empire ottoman, ne nie pas la réalité des massacres mais en conteste la responsabilité et surtout rejette le qualificatif de génocide.
Les Turcs les plus accommodants attribuent la responsabilité des massacres à un régime disparu, le sultanat, ou aux aléas de la guerre. Le gouvernement d'Istamboul, allié de l'Allemagne contre la Russie, la France et l'Angleterre, pouvait craindre une alliance entre les Russes et les Arméniens de l'intérieur, chrétiens comme eux.
Ils font aussi valoir que ces massacres n'étaient pas motivés par une idéologie raciale. Ils ne visaient pas à l'extermination systématique du peuple arménien. Ainsi, les Arméniens de Jérusalem et de Syrie, alors possessions ottomanes, n'ont pas été affectés par les massacres. Beaucoup de jeunes filles ont aussi pu sauver leur vie en se convertissant à l'islam et en épousant un Turc, une «chance» dont n'ont pas bénéficié les Juives victimes des nazis... Pour les mêmes raisons, certains historiens occidentaux contestent également le qualificatif de génocide.
Un empire composite
Aux premiers siècles de son existence, l'empire ottoman comptait une majorité de chrétiens (Slaves, Grecs, Arméniens, Caucasiens, Assyriens....). Ils jouaient un grand rôle dans le commerce et l'administration, et leur influence s'étendait au Sérail, le palais du sultan. Ces «protégés» (dhimmis en arabe coranique) n'en étaient pas moins soumis à de lourds impôts et avaient l'interdiction de porter les armes.
Les premiers sultans, souvent nés d'une mère chrétienne, témoignaient d'une relative bienveillance à l'égard des Grecs orthodoxes et des Arméniens monophysites.
Ces derniers étaient surtout établis dans l'ancien royaume d'Arménie, au pied du Caucase, premier royaume de l'Histoire à s'être rallié au christianisme ! Ils étaient majoritaires aussi en Cilicie, une province du sud de l'Asie mineure que l'on appelait parfois «Petite Arménie». On en retrouvait à Istamboul ainsi que dans les villes libanaises et à Jérusalem.
L'empire ottoman comptait environ 2 millions d'Arméniens à la fin du XIXe siècle sur une population totale de 36 millions d'habitants.
Ébauche de génocide
Après une tentative de modernisation par le haut, dans la période du Tanzimat, de 1839 à 1876, l'empire ottoman entre dans une décadence accélérée. Après la déposition du sultan Mourad V le 31 août 1876, son frère Abdul-Hamid II monte à son tour sur le trône. Il attise sans vergogne les haines religieuses pour consolider son pouvoir (les derniers tsars de Russie font de même dans leur empire).
Entre 1894 et 1896, comme les Arméniens réclament des réformes et une modernisation des institutions, le sultan en fait massacrer 200.000 à 250.000 avec le concours diligent des montagnards kurdes. À Constantinople même, la violence se déchaîne contre les Arméniens du grand bazar, tués à coups de gourdin.
Un million d'Arméniens sont dépouillés de leurs biens et quelques milliers convertis de force. Des centaines d'églises sont brûlées ou transformées en mosquées... Rien qu'en juin 1896, dans la région de Van, au coeur de l'Arménie historique, pas moins de 350 villages sont rayés de la carte.
Ces massacres planifiés ont déjà un avant-goût de génocide. L'Américain George Hepworth enquêtant sur les lieux deux ans après les faits, écrit : «Pendant mes déplacements en Arménie, j'ai été de jour en jour plus profondément convaincu que l'avenir des Arméniens est excessivement sombre. Il se peut que la main des Turcs soit retenue dans la crainte de l'Europe mais je suis sûr que leur objectif est l'extermination et qu'ils poursuivront cet objectif jusqu'au bout si l'occasion s'en présente. Ils sont déjà tout près de l'avoir atteint» (*).
Les Occidentaux se contentent de plates protestations. Il est vrai que le «Sultan rouge» fait le maximum pour dissimuler son forfait et paie même la presse européenne pour qu'elle fasse silence sur les massacres.
Abdul-Hamid II joue par ailleurs la carte de chef spirituel de tous les musulmans en sa qualité de calife. Il fait construire le chemin de fer du Hedjaz pour faciliter les pèlerinages à La Mecque. Il se rapproche aussi de l'Allemagne de Guillaume II.
Mais ces initiatives débouchent sur l'insurrection des «Jeunes-Turcs». Ces jeunes officiers, à l'origine du sentiment national turc, reprochent au sultan de livrer l'empire aux appétits étrangers et de montrer trop de complaisance pour les Arabes. Par l'intitulé de leur mouvement, ils veulent se démarquer des «Vieux-Turcs» qui, au début du XIXe siècle, s'opposèrent à la modernisation de l'empire.
Le sultan cède à leurs exigences et rétablit une Constitution le 24 juillet 1908. Mais cela ne suffit pas à ses opposants. Le 27 avril 1909, les Jeunes-Turcs le déposent et installent sur le trône un nouveau sultan, Mohamed V, sous l'étroite surveillance d'un Comité Union et Progrès (CUP, en turc Ittihad) dirigé par Enver pacha (27 ans).
Ils donnent au pays une Constitution ainsi qu'une devise empruntée à la France : «Liberté, Égalité, Fraternité». Ils laissent espérer un sort meilleur aux minorités de l'empire, sur des bases laïques. Mais leur idéologie emprunte au nationalisme le plus étroit.
Confrontés à un lent démembrement de l'empire multinational et à sa transformation en puissance asiatique (l'empire ne possède plus en Europe que la région de Constantinople), ils se font les champions du «touranisme». Cette idéologie prône l'union de tous les peuples de langue turque ou assimilée, de la mer Égée aux confins de la Chine (Anatolie, Azerbaïdjan, Kazakhstan, etc) (*).
Soucieux de créer une nation turque racialement homogène, les Jeunes-Turcs multiplient les exactions contre les Arméniens d'Asie mineure dès leur prise de pouvoir. On compte ainsi 20.000 à 30.000 morts à Adana le 1er avril 1909...
Ils lancent des campagnes de boycott des commerces tenus par des Grecs, des Juifs ou des Arméniens, en s'appuyant sur le ressentiment et la haine des musulmans turcs refoulés des Balkans.
Ils réécrivent l'Histoire en occultant la période ottomane, trop peu turque à leur goût, et en rattachant la race turque aux Mongols de Gengis Khan, aux Huns d'Attila, voire aux Hittites de la haute Antiquité. Ce nationalisme outrancier ne les empêche pas de perdre les deux guerres balkaniques de 1912 et 1913.
La Turquie dans la guerre de 1914-1918
Le 8 février 1914, la Russie impose au gouvernement turc une commission internationale destinée à veiller aux bonnes relations entre les populations ottomanes. Les Jeunes-Turcs ravalent leur humiliation mais lorsque la Grande Guerre éclate, en août de la même année, ils poussent le sultan Mahomet V à entrer dans le conflit, aux côtés des Puissances centrales (Allemagne et Autriche), contre la Russie et les Occidentaux.
Le sultan déclare la guerre le 1er novembre 1914. Les Turcs tentent de soulever en leur faveur les Arméniens de Russie. Mal leur en prend... Bien qu'en nombre supérieur, ils sont défaits par les Russes à Sarikamish le 29 décembre 1914.
L'empire ottoman est envahi. L'armée turque perd 100.000 hommes. Elle bat en retraite et, exaspérée, multiplie les violences à l'égard des Arméniens dans les territoires qu'elle traverse. Les Russes, à leur tour, retournent en leur faveur les Arméniens de Turquie. Le 7 avril 1915, la ville de Van, à l'est de la Turquie, se soulève et proclame un gouvernement arménien autonome.
Dans le même temps, à l'initiative du Lord britannique de l'Amirauté, un certain Winston Churchill, les Français et les Britanniques préparent un débarquement dans le détroit des Dardanelles pour se saisir de Constantinople.
Le génocide
Les Jeunes-Turcs profitent de l'occasion pour accomplir leur dessein d'éliminer la totalité des Arméniens de l'Asie mineure, une région qu'ils considèrent comme le foyer national exclusif du peuple turc. Ils procèdent avec méthode et brutalité.
L'un de leurs chefs, le ministre de l'Intérieur Talaat Pacha, ordonne l'assassinat des élites arméniennes de la capitale puis des Arméniens de l'armée, bien que ces derniers aient fait la preuve de leur loyauté (on a ainsi compté moins de désertions chez les soldats arméniens que chez leurs homologues turcs). C'est ensuite le tour des nombreuses populations arméniennes des sept provinces orientales (les Arméniens des provinces arabophones du Liban et de Jérusalem ne seront jamais inquiétés).
Voici le texte d'un télégramme transmis par le ministre à la direction des Jeunes-Turcs de la préfecture d'Alep : «Le gouvernement a décidé de détruire tous les Arméniens résidant en Turquie. Il faut mettre fin à leur existence, aussi criminelles que soient les mesures à prendre. Il ne faut tenir compte ni de l'âge, ni du sexe. Les scrupules de conscience n'ont pas leur place ici».
Le gouvernement destitue les fonctionnaires locaux qui font preuve de tiédeur, ainsi que le rapporte l'historien britannique Arnold Toynbee, qui enquêta sur place.
Dans un premier temps, les agents du gouvernement rassemblent les hommes de moins de 20 ans et de plus de 45 ans et les éloignent de leur région natale pour leur faire accomplir des travaux épuisants. Beaucoup d'hommes sont aussi tués sur place.
La «Loi provisoire de déportation» du 27 mai 1915 fixe le cadre réglementaire de la déportation des survivants ainsi que de la spoliation des victimes.
Dans les villages qui ont été quelques semaines plus tôt privés de leurs notables et de leurs jeunes gens, militaires et gendarmes ont toute facilité à réunir les femmes et les enfants. Ces malheureux sont réunis en longs convois et déportés vers le sud, vers Alep, une ville de la Syrie ottomane.
Les marches se déroulent sous le soleil de l'été, dans des conditions épouvantables, sans vivres et sans eau, sous la menace constante des montagnards kurdes, trop heureux de pouvoir librement exterminer leurs voisins et rivaux. Elles débouchent en général sur une mort rapide.
Survivent toutefois beaucoup de jeunes femmes ou d'adolescentes (parmi les plus jolies) ; celles-là sont enlevées par les Turcs ou les Kurdes pour être vendues comme esclaves ou converties de force à l'islam et mariées à des familiers (en ce début du XXIe siècle, beaucoup de Turcs sont troublés de découvrir qu'ils descendent ainsi d'une jeune chrétienne d'Arménie arrachée à sa famille et à sa culture).
En septembre, après les habitants des provinces orientales, vient le tour d'autres Arméniens de l'empire. Ceux-là sont convoyés vers Alep dans des wagons à bestiaux puis transférés dans des camps de concentration en zone désertique où ils ne tardent pas à succomber à leur tour, loin des regards indiscrets.
Au total disparaissent pendant l'été 1915 les deux tiers de la population arménienne sous souveraineté ottomane.
Les Européens et le génocide
En Occident, les informations sur le génocide émeuvent l'opinion mais le sultan se justifie en arguant de la nécessité de déplacer les populations pour des raisons militaires !
Le gouvernement allemand, allié de la Turquie, censure les informations sur le génocide. L'Allemagne entretient en Turquie, pendant le conflit, une mission militaire très importante (jusqu'à 12.000 hommes). Et après la guerre, c'est en Allemagne que se réfugient les responsables du génocide, y compris Talaat Pacha.
Ce dernier est assassiné à Berlin le 16 mars 1921 par un jeune Arménien, Soghomon Tehlirian. Mais l'assassin sera acquitté par la justice allemande, preuve si besoin est d'une réelle démocratisation de la vie allemande sous le régime républicain issu de Weimar !
Le traité de Sèvres signé le 10 août 1920 entre les Alliés et le nouveau gouvernement de l'empire ottoman prévoit la mise en jugement des responsables du génocide. Mais le sursaut nationaliste du général Moustafa Kémal bouscule ces bonnes résolutions.
D'abord favorable à ce que soient punis les responsables de la défaite et du génocide, Moustafa Kémal se ravise car il a besoin de ressouder la nation turque face aux Grecs et aux Occidentaux qui menacent sa souveraineté. Il décrète une amnistie générale, le 31 mars 1923.
La même année, le général parachève la «turcisation» de la Turquie en expulsant les Grecs qui y vivaient depuis la haute Antiquité. Istamboul, ville aux deux-tiers chrétienne en 1914, devient dès lors exclusivement turque et musulmane.
Les nazis tireront les leçons du premier génocide de l'Histoire et de cette occasion perdue de juger les coupables... «Qui se souvient encore de l'extermination des Arméniens ?» aurait lancé Hitler en 1939, à la veille de massacrer les handicapés de son pays (l'extermination des Juifs viendra deux ans plus tard).
À la vérité, c'est seulement dans les années 1980 que l'opinion publique occidentale a retrouvé le souvenir de ce génocide, à l'investigation de l'Église arménienne et des jeunes militants de la troisième génération, dont certains n'ont pas hésité à recourir à des attentats contre les intérêts turcs.
Les historiens multiplient depuis lors les enquêtes et les témoignages sur ce génocide, le premier du siècle. Le cinéaste français d'origine arménienne Henri Verneuil a évoqué dans un film émouvant, Mayrig, en 1991, l'histoire de sa famille qui a vécu ce drame dans sa chair. On trouvera par ailleurs dans Le siècle des génocides (Bernard Bruneteau, Armand Colin, 2004) une très claire et très complète enquête sur ce génocide (et les autres), avec sources et références à l'appui.
De nombreux Arméniens rescapés des massacres de 1915 ont débarqué à Marseille et se sont établis en France. Leurs descendants sont aujourd'hui 300.000 à 500.000.
Dans le dessein de gagner leur vote à l'élection présidentielle de 2002, la droite et la gauche parlementaires ont voté à l'unanimité une loi réduite à un article : «La République française reconnaît le génocide arménien». Il en est résulté une crise avec la Turquie, déjà agacée par l'opposition de la France à son entrée dans l'Union européenne.
En 2006, peu avant l'élection présidentielle suivante, le parti socialiste a fait de la surenchère en tentant de pénaliser la «négation»du génocide. Il y a échoué et son texte a été prestement enterré par le nouveau président, soucieux de restaurer de bonnes relations avec la Turquie.
Mais à l'avant-veille de l'élection présidentielle de 2012, Nicolas Sarkozy lui-même a relancé le projet pour retrouver la faveur des électeurs d'origine arménienne. C'est ainsi que le 22 décembre 2011, une députée UMP a déposé une proposition de loi qui punit d’un an d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende la négation, voire la «minimisation», d'un génocide reconnu par la République française.
Les Turcs ont immédiatement menacé les entreprises françaises de mesures de rétorsion et l'affaire pourrait coûter très cher à la France, déjà victime d'une récession économique. Elle pourrait être contre-productive en Turquie même, où les citoyens de toutes obédiences se sentent peu ou prou atteints dans leur honneur par cette immixtion étrangère.
Cette nouvelle loi mémorielle, plus de vingt ans après la loi Gayssot (1990), témoigne des incohérences entourant la liberté d'expression, alors que, par ailleurs, des artistes et des libéraux réclament la liberté de moquer sans limite toutes les religions. Elle illustre aussi la tentation des dirigeants politiques de détourner l'attention des citoyens de leurs échecs économiques, sociaux et diplomatiques.
http://www.herodote.net/24_avril_1915-evenement-19150424.php
Aix-en-Provence, pose d'une plaque à : Romain Gary, Compagnon de la Libération
Invitation officielle ci-dessous.
Tous nos amis et les organisations patriotiques de mémoire sont cordialement invités à participer à cette cérémonie.
Le soldat
Naturalisé Français en juillet 1935, il est appelé en novembre 1938 au service militaire dans l'aviation à Salon-de-Provence.
Le 20 juin 1940, il s'évade de Bordeaux-Mérignac en avion jusqu'à Alger, se rend en car à Casablanca d'où un cargo britannique l'emmène à Glasgow. Il s'engage aussitôt dans les Forces aériennes françaises libres (FAFL). Il sert au Moyen-Orient, en Libye, et à Koufra en février 1941, en Abyssinie puis en Syrie où il contracte le typhus. Après sa convalescence, il sert dans la défense côtière de la Palestine où il participe à l'attaque d'un sous-marin.
En février 1943, il est rattaché en Grande-Bretagne au Groupe de bombardement Lorraine. C'est durant cette période que Romain Kacew choisit le nom de Gary (signifiant « brûle ! » en russe) qui deviendra son pseudonyme et qui fut le nom d’actrice de sa mère[11]. Il est affecté à la destruction des bases de lancement des V1. Le lieutenant Gary se distingue particulièrement le 25 janvier 1944 alors qu'il commande une formation de six appareils. Il est blessé, son pilote Arnaud Langer[12] est aveuglé, mais il guide ce dernier, le dirige, réussit le bombardement, et ramène son escadrille à sa base. Il effectue sur le front de l'Ouest plus de 25 missions, totalisant plus de 65 heures de vol de guerre. Il est fait compagnon de la Libération et nommé capitaine de réserve à la fin de la guerre[13].
http://fr.wikipedia.org/wiki/Romain_GaryBonne nouvelle, les éditions Gallimard publieront en mai un livre inédit de Gary : "Le vin des morts". Son tout premier texte, écrit en 1933, sur une table de café d'Aix en Provence, alors qu'il était étudiant en droit. Son manuscrit avait alors été refusé par les éditeurs. Déçu et vexé, Romain Gary avait donné ce manuscrit à son amoureuse de l'époque, la Suédoise Christel Söderlund. Laquelle, cinquante ans plus tard, finit par le vendre.
Philippe Brenot, écrivain et psychiatre, l'a récupéré lors d'une vente aux enchères. C'est lui qui, chez Gallimard, a supervisé l'édition de ce texte très attendu qui, raconte-t-il, contient toute la révolte qui n'a cessé de bouillir en Gary.
Aube dorée. Le livre noir du parti nazi grec
Auteur: Psarras Dimitris, Parution : 2014
La Grèce est devenue le premier pays d’Europe à accueillir dans son Parlement un parti ouvertement nazi ayant obtenu le score non négligeable de 7% des suffrages exprimés.
Le brouillard qui avait couvert le pays depuis l’éclatement de la crise économique et l’application d’une politique-antisociale inédite au nom du «Mémorandum», se combinait avec la nuée noire d’une organisation qui fait d’Adolf Hitler son idole et de la violence de rue sa méthode d’ascension.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment cette extrême droite grecque, décriée et marginale il y a quelques années encore, parvient-elle à présent à dicter l’agenda politique en imposant ses choix radicaux au système partisan ? Comment avons-nous pu oublier la dictature ? Comment est-il possible que des citoyens de villages martyrisés par la SS votent pour un parti nazi ? Comment est-il possible que nous tolérions la dérision de l’Holocauste dans un pays dont l’écrasante majorité des citoyens juifs a été exterminée dans les camps ?
Ce livre apporte une première analyse du phénomène Aube Dorée. Cette organisation a revêtu des formes multiples depuis sa première apparition publique. Pourtant, pendant trois décennies, son noyau dur est resté invariable. Nikolaos Michaloliakos, son chef, avait 19 ans lorsqu’il a été accusé pour la première fois d’avoir commis un acte illégal. Au cours de ces années et malgré quelques modifications ou plutôt des travestissements organisationnels, l’orientation de l’organisation est restée inflexible et basée sur les mêmes principes idéologiques et politiques.
Cette orientation est facilement repérable dans les documents de l’organisation. Certains affirment qu’en dernière analyse, elle exprime d’une manière originale la réaction du peuple face aux mesures inhumaines imposées par le gouvernement et la Troïka. D’autres se déclarent stupéfaits des performances médiatiques de l’organisation quand, par exemple, elle organise des distributions des vivres ou des banques du sang «pour les Grecs d’abord».
Notre point de départ est tout à fait différent. Nous considérons que la transformation en parti politique bienséant d’un groupe nazi relève d’un grand scandale politique.
Si nous dressons ici un inventaire détaillé de l’idéologie, de l'histoire et de l’action de l’Aube Dorée, c’est pour décrypter ce qui se cache derrière les tee-shirts noirs et les gros bras des bataillons d’assaut de cette organisation.
Dimitri Psarras
http://www.syllepse.net/lng_FR_srub_37_iprod_586-aube-doree-le-livre-noir-du-parti-nazi-grec.html
France-Culture:
Victoire du 8 mai 1945
Le 8 mai marque la date anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe occidentale.
Le 7 mai 1945, à 2h41, un premier acte de capitulation allemande est signé à Reims. Les combats doivent cesser à 23h01, le 8 mai, heure française. La nouvelle n'est communiquée officiellement en France que le lendemain.
Le 8 mai, à 15h00, les cloches de toutes les églises françaises sonnent donc officiellement la fin de la guerre tandis que le général de Gaulle en fait l'annonce radiophonique. « La guerre est gagnée. Voici la victoire. C'est la victoire des Nations Unies et c'est la victoire de la France », déclare le général de Gaulle dans un message radiophonique. Entouré par la foule, il va se recueillir ensuite sur la tombe du soldat inconnu, à l'Arc de triomphe.La population laisse éclater sa joie. Le 8 mai après-midi et le 9 mai sont déclarés exceptionnellement fériés. La foule envahit les rues, entonnant la Marseillaise et des chants patriotiques. Les scènes de liesse rappellent celles qui avaient accompagné la Libération, à l'été et à l'automne 1944.
Le 8 mai, la capitulation générale allemande est signée à Berlin par le maréchal Wilhelm Keitel. Les Soviétiques, maîtres de la ville depuis le 2 mai, estiment en effet que la capitulation de Reims n'est qu'un acte préliminaire. La France, signataire aux côtés des Alliés de ces deux actes, est représentée à Reims par le général Sevez, à Berlin par le général de Lattre de Tassigny. La reddition sans conditions de l'Allemagne nazie met fin en Europe à un conflit de six ans qui a fait plusieurs dizaines de millions de morts.
Toutefois, la date du 8 mai ne marque pas la fin de la présence militaire allemande sur l'ensemble du territoire français. Les dernières poches de résistance, à Dunkerque, Lorient et Saint-Nazaire, ne tombent que les jours suivant la capitulation du Reich.
Le 8 mai a été déclaré jour férié de commémoration, en France, le 20 mars 1953.
1945 : le Reich capitule
LE MONDE | 07.05.1985 à 00h00 • Par FRANÇOIS BEDARIDA
En signant le protocole de capitulation à Reims le 7 mai, puis en répétant symboliquement cette signature dans la capitale du Reich, à Berlin, la nuit suivante, les chefs militaires allemands avouent la défaite complète et sans rémission de leur pays. Pour les Alliés, à une guerre totale répond une victoire totale. Voici un récit de cet événement, quarante ans après.
La capitulation des 7-8 mai 1945, loin de découler des hasards imprévus de la bataille ou d'une improvisation des vainqueurs, constitue le point d'aboutissement d'un triple processus historique. Trois données en effet y confluent : la première, vieille de plus de deux ans, c'est le mot d'ordre allié de capitulation sans conditions ; la deuxième, c'est l'effondrement militaire et la désagrégation de la machine de guerre du Reich entre le début de mars et la fin d'avril 1945 ; enfin, troisième élément décisif, avec la mort de Hitler le 30 avril et son remplacement par l'amiral Doenitz, il n'y a plus d'obstacle à une reddition de l'Allemagne aux mains des Alliés.
C'est en janvier 1943, à la conférence de Casablanca, qu'avait été adoptée la formule de capitulation sans conditions (unconditional surrender) pour l'Allemagne, l'Italie et le Japon. Une idée lancée par Roosevelt, qui l'impose à Churchill, puis entérinée, non sans réserves, par Staline à la conférence de Téhéran à la fin de l'année. Dans l'esprit de Roosevelt, il s'agissait d'abord de ne pas répéter l'erreur commise en 1918 en laissant les Allemands exploiter sans vergogne le thème d'un pays abattu non par la défaite mais par la trahison. Ensuite, une reddition inconditionnelle laisserait les mains libres pour négocier un règlement de paix, sans se lier à l'avance comme Wilson l'avait fait avec les "quatorze points". À l'appui d'un tel mot d'ordre, l'on pouvait encore invoquer d'autres arguments : n'était-ce point la preuve de la résolution inébranlable des Alliés, bien décidés à aller ensemble jusqu'au bout ? L'expression de leur certitude absolue en la victoire ? Le signe que les membres de la Grande Alliance ne se prêteraient à aucune négociation, à aucun compromis, à aucune paix séparée ? Bref, la seule riposte possible à une guerre totale.
Effectivement, érigée en doctrine officielle, la formule ne variera plus, même lorsqu'Eisenhower, conscient de ses inconvénients, tentera à l'automne de 1944 d'obtenir un assouplissement. Réaffirmée avec une belle unanimité par les Trois Grands à Yalta en février 1945, on la retrouve encore le 28 avril dans la bouche de Churchill proclamant bien haut l'accord complet des Alliés sur ce point.
En sens inverse, on n'a pas manqué de critiquer sévèrement - déjà sur le moment même, mais plus encore depuis la fin de la guerre - la stratégie de la capitulation inconditionnelle. D'abord parce qu'elle a abouti sur le plan psychologique à l'effet contraire à celui que l'on recherchait, en raidissant et en prolongeant la résistance de l'adversaire. Ensuite, parce que la propagande nazie a trouvé là une chance inespérée. Pour Goebbels, c'est la démonstration éclatante que les Alliés, avec leur mot d'ordre de reddition à merci, avec le plan Morgenthau de réduction de l'Allemagne au statut de pays agricole, avec les bombardements de terreur sur les villes, veulent purement et simplement anéantir la nation allemande : dès lors il n'y a que le Führer pour empêcher l'Allemagne d'être submergée par " les hordes slaves du bolchevisme ".
D'où un sursaut dans l'opinion afin de s'opposer à pareil destin. D'où également un coup fatal porté à l'opposition à Hitler, que ce soit avant ou après le complot du 20 juillet 1944, puisque les Alliés, renonçant à distinguer entre les dirigeants nazis et le peuple allemand, déclarent que même l'élimination du Führer ne modifierait pas leur ligne de conduite. Aussi chez les plus lucides des Allemands, conscients que la guerre est perdue, l'on se sent pris dans un étau : d'un côté, la main de fer du régime nazi, qui condamne le pays à la défaite militaire et à la débâcle politique ; de l'autre, l'exigence impitoyable des Alliés, synonyme de ruine de l'État et de la nation. Il faudra donc attendre l'invasion totale du pays et la dislocation des armées du Reich pour que la force des choses impose la capitulation.
Pendant longtemps Hitler s'était bercé d'un tenace espoir : l'entrée en scène d'armes nouvelles qui renverseraient le cours de la guerre en faveur de l'Allemagne. Mais au printemps 1945, force est bien de se rendre à l'évidence. Aucun miracle n'est à attendre de ce côté-là : ni les chasseurs à réaction, ni les nouveaux sous-marins, ni les V1 et V2 n'ont atteint un niveau de production suffisant pour être opérationnels.
En février, l'on compte en tout et pour tout deux Électro-U-Boote en mer, les 7 500 V1 et V2 lancés sur la région d'Anvers n'ont causé que des dommages minimes, et les pistes des aérodromes prévus pour les chasseurs à réaction ont été si sévèrement bombardées par l'aviation anglo-américaine qu'elles sont inutilisables.
LE IIIE REICH AUX ABOIS
Quant à l'arme atomique, il y a beau temps que l'Allemagne a perdu toute chance dans la course de vitesse engagée avec les Alliés. Bien plus : ceux-ci savent, depuis la prise de Strasbourg et du laboratoire nucléaire de l'université avec toute son équipe de chercheurs, qu'ils n'ont rien à redouter en ce domaine. Le monopole de la bombe atomique reste acquis aux savants anglo-américains.
Or, sur le plan militaire, sous les coups de boutoir des Alliés, les armées allemandes sont en train de s'effondrer sur tous les fronts. À l'ouest, l'offensive déclenchée par Eisenhower depuis le début de mars, après avoir franchi le Rhin et encerclé la Ruhr, se déploie au cœur de l'Allemagne : tandis que le XXIe groupe d'armées, commandé par Montgomery, marche sur Brème, Hambourg et Lübeck, au centre les Américains de Bradley avancent successivement à travers la Hesse, la Thuringe et la Saxe, et, le 25 avril, une patrouille blindée de la 1 ère armée fait sa jonction sur l'Elbe, à Torgau, avec les éléments avancés de la 1ère armée d'Ukraine du maréchal Koniev.
Plus au sud, les Franco-américains s'emparent de Stuttgart et de Nuremberg, et pénètrent en Autriche. En Italie, les Alliés, après avoir brisé la résistance allemande sur la " ligne gothique ", déferlent sur la plaine du Pô, aidés par l'insurrection générale des partisans, et à la fin d'avril ils ont libéré Vérone, Venise et Trieste. Sur le front de l'Est, les Soviétiques, après un bond en janvier de la Vistule à l'Oder, poursuivent une irrésistible marche en avant : en avril, l'Oder franchi, ils écrasent les défenses allemandes en Poméranie et en Brandebourg, occupent Vienne, encerclent Berlin, dont ils s'emparent après des combats acharnés. Le 2 mai, le drapeau rouge flotte sur le Reichstag.
Certes, parallèlement à ces succès spectaculaires, l'entente entre les Grands s'effrite. De toutes parts, l' "étrange alliance" commence à craquer. En effet, à mesure que se dessine l'après-guerre, il importe de prendre au plus vite des gages, et du coup les frictions se multiplient. Mainmise communiste sur la Roumanie, impasse sur la Pologne, avance conquérante de Tito et de ses partisans, désaccords sur le traitement à infliger à l'Allemagne, dialogue orageux à Washington entre Truman et Molotov : autant d'occasions de méfiances et de frustrations réciproques. Incontestablement, la carte de guerre favorise les visées de Staline.
Tandis que les Occidentaux, renonçant à marcher sur Berlin, croient nécessaire de concentrer leurs forces vers le Sud contre un imaginaire " réduit alpin " où se réfugieraient les meilleures troupes allemandes - une gigantesque manœuvre d'intoxication, le dernier succès de la propagande nazie, - les Soviétiques, par la conquête de Berlin, Vienne et bientôt Prague (dont ils se sont réservés l'occupation), s'installent au cœur de l'Europe.
Devant cette avance incoercible, chez les Allemands, militaires et civils mêlés, une seule idée : voir les troupes britanniques et américaines occuper le plus possible de territoire, afin de devancer l'arrivée de l'armée rouge.
C'est un même sentiment qui inspire plusieurs tentatives de reddition séparée. Dès le mois de mars, en Italie, le général SS Wolff était entré en contact avec les Alliés en vue d'une capitulation de la Wehrmacht sur le front italien, mais les pourparlers entamés secrètement à Berne échouent devant les aigres récriminations de Moscou.
En avril, c'est Himmler lui-même qui tente de négocier en Suède avec le comte Bernadotte, n'hésitant pas à s'adresser par cet intermédiaire au général de Gaulle (" Quand on sait d'où vous êtes parti, on doit, général de Gaulle, vous tirer très bas son chapeau "), mais cette trahison in extremis du Reichsführer ne fait que provoquer la fureur de Hitler (lui qui l'avait baptisé le " fidèle " : treuer Heinrich) sans impressionner en rien les Alliés. Enfin, encore dans la nuit du 30 avril au l er mai, l'on enregistre une ultime tentative -cette fois en direction des Russes. Au milieu des ruines fumantes de Berlin, un émissaire allemand, le général Krebs, s'efforce en pourparlers avec les généraux soviétiques, Tchouikov, Sokolovsky et Joukov, mais sans plus de succès.
"HITLER KAPUT"
Jusqu'au bout, Hitler, dans son bunker, a voulu croire en son étoile. Encore le 20 avril, jour de son cinquante-sixième anniversaire, en dépit des nouvelles catastrophiques qui parviennent de tous les fronts en train de se disloquer, il rêve d'un renversement de fortune. Quelques jours plus tôt, Goebbels ne lui lisait-il pas un passage de l'Histoire de Frédéric le Grand de Carlyle, relatant les jours les plus sombres de la guerre de Sept Ans, lorsque le roi, découragé, avait annoncé aux ministres son intention de se suicider par le poison, mais soudain avait connu, avec la mort inopinée de la tsarine de Russie, le "miracle de la maison de Brandebourg" ?
Toutefois, même les espoirs les plus chimériques n'empêchent point le Führer d'ordonner en même temps l'application à travers l'Allemagne d'une politique impitoyable de " terre brûlée ". Au point qu'épouvanté, Speer doit s'y opposer de toutes ses forces : "Quand il se vit vaincu, écrira-t-il plus tard, il voulut consciemment annihiler le peuple allemand en détruisant les fondements même de son existence... Pour lui la fin de sa vie signifiait la fin de tout."
Effectivement, dans cette atmosphère de crépuscule des dieux, les chefs nazis se refusent à contempler en face la défaite. Dans leur esprit, le cataclysme doit tout emporter avec lui. Pour sa part, Hitler, en proie à la passion destructrice et à la volonté de mort - hanté de surcroît par l'idée, insupportable pour lui, de tomber aux mains de ses ennemis, -en est venu à se tourner contre sa propre race, fidèle en cela d'ailleurs à une obsession très ancienne. Dès 1934 par exemple, il avait annoncé à Rauschning : " Si nous ne pouvons conquérir le monde, nous l'entraînerons dans la destruction avec nous et ne laisserons personne triompher de l'Allemagne. Il n'y aura pas de 1918. Nous ne capitulerons jamais. " En 1944 encore, il déclarait lors d'une réunion de Gauleiters qu'au cas où le peuple allemand n'aurait pas la force d'affronter le test de l'histoire, il mériterait purement et simplement d'être détruit.
Effectivement, le nihilisme nazi se donne maintenant libre cours. À partir du 24-25 avril, les illusions du Führer se sont volatilisées. Mais, jusqu'au dernier souffle, lui-même continuera d'être écartelé entre le goût du néant et la mégalomanie, comme en témoignent ses ultimes paroles, prononcées quelques instants avant de mourir : " Les efforts et les sacrifices du peuple allemand dans cette guerre ont été si gigantesques que je ne peux croire qu'ils aient été vains. Le but demeure : conquérir des terres à l'est... "
Néanmoins Hitler, abandonné de tous à l'exception de Goebbels et de Bormann, tandis que l'armée rouge n'est plus qu'à quelques dizaines de mètres de la chancellerie en ruine, se donne la mort dans le bunker au début de l'après-midi du 30 avril, en se tirant une balle dans la bouche. Sitôt annoncée dans la soirée du 1er mai, la nouvelle fait le tour du monde, achevant en Allemagne la désagrégation de ce qui reste des troupes du Reich. Pour prendre sa succession à la tête du pays, le Führer a désigné dans son testament le chef de la Kriegsmarine, l'amiral Doenitz, un nazi convaincu mais un esprit froid et réaliste. Désormais l'heure de la capitulation finale approche, puisqu'en la personne de Doenitz sont réunis le commandant en chef auquel la Wehrmacht doit obéissance et fidélité et le chef d'État avec qui les Alliés vont être en mesure de traiter.