Mendès France, quant à lui, a publié à New York, en 1943, un récit de sa captivité et de son évasion. Révisé en 1977, Liberté, liberté chérie est désormais disponible dans une édition de référence (3), enrichi d’un copieux dossier d’annexes. Conçu en pleine guerre, le texte de Mendès avait une dimension apologétique et militante ; mais il reste d’un grand intérêt.
Chacun à sa manière, ces livres témoignent d’expériences communes : la commotion de la guerre et de la débâcle (« c’est comme si une bombe invisible était tombée sur nos habitudes et sur ceux qui nous entourent », écrit Zay à sa femme), la condamnation par une justice d’exception et la prison, avec son lot de privations et de vexations. Au-delà du témoignage personnel, ils offrent un saisissant tableau de la France : celle des années 1930, que Zay se remémore pour mieux éclairer son présent ; celle de la débâcle, évoquée en des termes qui rappellent parfois le Marc Bloch de L’Etrange Défaite (Gallimard, 1990) ; celle de l’Occupation et de la collaboration, que Mendès France traverse clandestinement et observe avec l’attention redoublée de l’homme traqué.
Ce qui frappe, quand on parcourt ce massif de documents, c’est la place centrale de l’écriture. Pour ces deux hommes d’action, elle ne relève pas simplement du rituel social ou du passe-temps. Elle est une hygiène intellectuelle, une discipline physique et morale, un moyen de résister à la désorientation et à la propagande. Carnets, journal, Mémoires, lettres aux proches remplissent une fonction essentielle, vitale : ils permettent de réaffirmer des vérités mises à mal, de maintenir une identité assiégée, de remettre en ordre un réel bouleversé et opaque. L’écriture, même intime, participe de la lutte.
Ces textes de guerre invitent à aborder Zay et Mendès France comme des républicains de combat. C’est ce qu’a tenté l’historien Olivier Loubes dans un bref essai (4) publié au moment de la panthéonisation du premier, en mai 2015. En trois courts chapitres (« Liberté », « Egalité », « Fraternité »), il tâche de ressaisir le sens d’un engagement tout entier voué à l’approfondissement de la démocratie politique et sociale. Ce petit texte n’a pas l’exhaustivité des récentes biographies (5), mais il réussit à camper un Jean Zay combatif et non consensuel. Retrouver ainsi, chez ces hommes d’Etat accablés désormais d’hommages officiels, ce qu’il y avait de radical et de tonique montre ce qui, dans leur héritage, peut aujourd’hui permettre de « réarmer la République ».