Il y a quelques semaines, un livre "Hunting Down the Jews, Vichy the Nazis and Mafia Collaborators in Provence 1942-1944" est paru en librairie à New York. Pas encore en France. Il s'agit pourtant de la traduction d'un ouvrage coécrit en français par Isaac Levendel, historien installé aux États-Unis et Bernard Weisz, écrivain, ancien journaliste à l'Humanité qui a quitté Marseille, sa ville natale, pour Avignon, il y a une vingtaine d'années.
Le texte edité
par Enigma Books est la somme de longues années d'enquête sur la persécution des juifs à Avignon et dans le Vaucluse que les auteurs réunis par une tragédie commune (lire par ailleurs), ont mené, chacun d'un
côté de l'Atlantique avec la même pugnacité. "Un travail de fourmi épuisant que je ne suis pas prêt de recommencer" sourit Bernard Weisz, "juif par tous les bouts", à commencer par sa mère
dont la tante, Frosine Mossé, fut arrêtée et déportée avec sa fille Emilienne et son gendre Jacques, le 11 novembre 1943.
Le livre "5761 en Avignon" paraît en 2000
"Avec Levendel, nous ne nous connaissions pas. Mais l'année où son livre "Un hiver en Provence" est sorti, paraissait "Avignon Festival de la mémoire" que j'ai écrit pour montrer combien le Festival de Jean Vilar en 1947 tournait aussi la page de la période d'Occupation. En cela, il m'a amené sur le chemin de cette période." Bernard Weisz entame alors une enquête, toujours dans la parole recueillie, sur la communauté juive d'Avignon. Le livre "5761 en Avignon" paraît en 2000.
Et puis il y a cette plaque commémorative à la synagogue d'Avignon qui l'intrigue. "Je me rends compte qu'il y a des noms qui ne me disent rien. Alors j'essaie d'en savoir plus." Connaissant les recherches d'Isaac Levendel, il prend contact avec lui en 2005. "À partir de là, on a commencé à travailler sur l'identification de ces juifs déportés en Vaucluse."
1 500 juifs recensés
Avec le concours discret mais précieux de sa compagne, Bernard Weisz s'attelle à la tâche : passer au crible ce qui va se révéler comme la principale source d'information menant aux juifs déportés du Vaucluse : les états nominatifs des juifs français et étrangers du département, deux inventaires très précis établis en 1942 puis en 1944, d'après les déclarations spontanées des juifs eux-mêmes, soit environ 1 500 au total. "D'un point de vue émotionnel, cette période a été assez dure pour nous", note Bernard Weisz "car on découvrait là non seulement le nom de ces gens mais leur âge, leur profession...".
Tout aussi méthodiquement, cette fois via Internet, Bernard Weisz recoupe ces noms avec le Mémorial de la déportation des juifs de France à Paris et celui de Yad Vashem à Jérusalem. Il approfondit ses connaissances, à la lumière des rapports préfectoraux, du comité départemental de Libération, des états nominatifs du Gard, des Bouches du Rhône. Tandis qu'Isaac Levendel accède aux archives nationales du Commissariat aux questions juives et aux archives militaires.
Témoignages à chaud
En 2010, Bernard Weisz s'oriente vers les archives pénales provenant des juridictions d'exception
mises en place sur Avignon et Nîmes, entre septembre 1944 et juillet 1945 pour juger les faits de collaboration. "On a examiné plus de 400 dossiers de procédure avec des témoignages à chaud de juifs persécutés
qui ont éclairé de manière incomparable cette époque" explique-t-il. Fins limiers, ils se muent, et c'est là l'originalité du livre, en véritales traqueurs. "À partir de chaque aspect de la persécution,
spoliations, arrestations, déportations, on a tenté de comprendre l'ampleur du mal qui a encerclé les juifs", du responsable de la Légion des combattants de Pétain en passant par la Milice et les Allemands estimés
à environ 10 000 dans tout le Vaucluse.
"Ils vont s'adjoindre des auxiliaires recrutés parmi la pègre locale. Ces supplétifs autant intéressés par l'argent et le pouvoir qui ont considérablement
freiné la chasse aux juifs même s'il y a eu des rafles programmées." À cette période de la collaboration, les auteurs toujours "au ras du sol des racines de l'histoire" ont consacré un chapitre conséquent
"en s'attachant à suivre les persécuteurs, au cours de leur vie criminelle et en les nommant" prévient l'Avignonnais qui semble revenir de loin.
L'écriture du livre s'est achevée fin 2011. Après avoir été soumis à des spécialistes de la période : Serge Klarsfeld qui en signe la préface mais aussi Raymond Aubrac. Le livre est paru aux États-Unis dans la foulée. "Les Américains ont une tradition de l'Holocauste comme de l'histoire immédiate que nous n'avons pas chez nous. Ils sont moins frileux" analyse Bernard Weisz. En attendant l'édition française, la version anglaise est disponible sur www.amazon.fr.
Nathalie VARIN