Ce Mardi 25 mars 2014 "Juin 1940, le piège du Massilia": L'échec d'un projet de gouvernement français de Résistance en Afrique
L'échec d'un projet de gouvernement français de Résistance en Afrique
Juin 1940, la France est en pleine débâcle.
Le gouvernement de Paul Reynaud, replié à Bordeaux, tangue sous la pression de ceux qui poussent le pays à signer l'armistice avec l'Allemagne. Avant de laisser le pouvoir à Philippe Pétain, Reynaud réquisitionne le paquebot de ligne le Massilia pour permettre aux parlementaires Français de rejoindre l'Afrique du Nord afin d'organiser un gouvernement de Résistance.
Parmi les hommes politiques qui montent à bord du Massilia le 21 juin, il y a Georges Mandel, ancien ministre de l'intérieur, Pierre Mendès France, ancien sous-secrétaire d'Etat au trésor, Jean Zay, ancien ministre de l'éducation nationale et des beaux-arts, ou encore Edouard Daladier, ancien ministre de la Défense.
En France, Pierre Laval demande à Pétain de refuser cette scission du pouvoir, et, alors qu'ils font route vers Casablanca, les passagers du Massilia apprennent la signature de l'armistice qui condamne leur entreprise. Le bateau de l'espoir se transforme en piège politique.
Fruit d'une enquête minutieuse, ce film de Virginie Linhart (une production Effervescence) regroupe les témoignages émouvants de descendants des passagers du Massilia (dont Michel Mendès France, le fils de Pierre) et les éclairages précieux d'historiens (Robert Paxton ou Jean-Pierre Azéma). Leur récits, très détaillés, éclairent jour après jour, heure par heure parfois, le déroulement de ce fait politique qui se transforma en affaire d'Etat.
Guillaume Fraissard (Le Monde 7 janvier 2012)
Avec les témoignages de Michel Mendès
France (fils de Pierre Mendès France), Catherine et Hélène Zay (filles de Jean Zay), Edgard Pisani, Denis Huisman (fils de Georges Huisman), les historiens Robert Paxton, Christiane Rimbaud, Jean-Noël Jeanneney, Jean-Pierre Azéma,
Julian Jackson, Henri Rousso : l'avocat Gérard Boulanger.
Documentaire.
Réalisé par Virginie Linhart.
Narrateur
Dominique Reymond, Bruno Solo, Gérard Cherqui et Nicolas Vallée.
Produit par Effervescence et Simone Halberstadt Harari.
Avec la participation de France Télévisions, Centre National de
la Cinématographie, Procirep et Angoa.
Le Ministre des anciens combattants répond / Des associations dénient à Jean Zay son certificat de Résistance datant de 1949.
“Crispations autour de l'entrée de Jean Zay au Panthéon”
LE MONDE | 19.03.2014 à 11h43 • Mis à jour le 20.03.2014 à 10h08 |
Jean Zay a-t-il sa place au Panthéon ? Depuis que François Hollande a répondu par l'affirmative, le 21 février, des voix s'élèvent pour défendre l'idée contraire. D'abord circonscrites à une extrême droite identifiée comme telle – de Bruno Gollnisch à l'hebdomadaire Rivarol –, elles se sont ensuite multipliées et diversifiées. Au point d'inciter le ministre délégué aux anciens combattants, Kader Arif, à rédiger une lettre destinée à étouffer la polémique avant qu'elle ne prenne de l'ampleur.
Daté du 14 mars, ce texte, que Le Monde s'est procuré, est une réponse à un communiqué publié la veille par le Comité national d'entente, un regroupement d'une quarantaine d'associations se définissant comme « patriotiques », de l'Union nationale des combattants à l'Amicale de Saint-Cyr Coëtquidan en passant par l'Association nationale des officiers de carrière en retraite.
« PASTICHE LITTÉRAIRE »
Pour contester l'entrée de Jean Zay au Panthéon, ce collectif se fonde sur deux éléments. Le premier est un texte rédigé en 1924 et intitulé « Le Drapeau », dans lequel on peut lire que les morts de la Grande Guerre sont tombés pour « cette immonde petite guenille (…) de la race vile des torche-culs ». Pour le général Delort, président du Comité national d'entente, ce texte écrit par Jean Zay quand il avait 19 ans pose problème. « Il est des injures qui ne se rachètent pas et qui ne peuvent s'oublier au moment de prétendre au Panthéon », estime le militaire. Pour lui, l'âge n'est pas une excuse. « Certains diront qu'à 20 ans il a commis une faute et qu'il était bien jeune mais 20 ans c'est déjà assez vieux pour mourir pour la France pendant la Grande Guerre, la Résistance et la Libération, aujourd'hui lors des opérations extérieures, en Afghanistan, au Mali, en RCA ! »
A cet argument, le ministre des anciens combattants répond en rappelant l'histoire, bien connue des spécialistes, du texte incriminé. Non destiné à la publication, ce poème en prose fut opportunément retrouvé en 1932 par un « ami » malveillant qui le communiqua à un journal conservateur du Loiret, où Jean Zay était candidat aux élections législatives.
Censé prouver l'appartenance à « l'anti-France » d'un homme qui incarnait tout ce que l'extrême droite abhorrait, puisqu'il était tout à la fois radical-socialiste, franc-maçon et d'ascendance juive et protestante, ce texte fut réutilisé à maintes reprises par l'extrême droite pour disqualifier Jean Zay. Ce fut notamment le cas en 1936 lors de sa nomination au ministère de l'éducation nationale dans le gouvernement de Front populaire. Chaque fois l'intéressé dut se justifier, expliquant que le texte n'était qu'un « pastiche littéraire».
« UN GRAND PATRIOTE »
Le second argument avancé par les opposants à la « panthéonisation » de Jean Zay concerne son comportement pendant la seconde guerre mondiale. Pour eux, celui-ci ne saurait être transféré au Panthéon aux côtés de Pierre Brossolette, Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle Anthonioz le 27 mai 2015, à l'occasion de la Journée nationale de la Résistance, ainsi que l'a annoncé M. Hollande. Et ce pour une raison simple : il n'était pas résistant. Assassiné par la Milice en 1944, c'est à leurs yeux « une victime », mais en aucun cas « un héros ».
Lire aussi : Quatre résistants choisis par M. Hollande pour entrer au Panthéon
A cela, le ministre des anciens combattants répond que Zay fit partie de la poignée de parlementaires qui, en juin 1940, refusèrent la défaite et s'embarquèrent sur le Massilia afin de poursuivre le combat depuis l'Afrique du Nord. Qu'il fut donc, à ce titre, « un grand patriote et un grand républicain ».
A l'appui de sa démonstration, le ministre aurait pu être plus précis. Citer, par exemple, les contacts noués par Jean Zay, pendant ses années de prison sous Vichy, avec les résistants de l'Organisation civile et militaire. Ou encore rappeler que l'administration lui décerna en 1949, à titre posthume, un certificat d'appartenance à la Résistance intérieure.
A la suite de la lettre de Kader Arif, deux associations membres du Comité national d'entente, le Souvenir français et la Société des membres de la Légion d'honneur, ont annoncé qu'elles revenaient sur leur position première. Il en reste plus de trente à convaincre.
- Thomas Wieder
Journaliste au Monde
Théâtre: Représentation de "JEAN ZAY" le 3 avril à Rousset
La Ville de Rousset a le plaisir de recevoir la Cie Tetra Art et leur spectacle
Création théâtrale du scénographe Raymond Vinciguerra et du journaliste Jean-Manuel Bertrand
Élaborée à partir de Souvenirs et Solitude de Jean Zay ainsi que de sa correspondance, la pièce est écrite à quatre mains par le journaliste Jean-Manuel Bertrand et le metteur en scène Raymond Vinciguerra.
Elle retrace en une série de flash-back le parcours politique de l’ancien ministre de l’Éducation Nationale du Front Populaire, alors qu’il est incarcéré à Riom par le régime de Vichy. L’humanisme vrai de cet esprit brillant, dont la destinée a longtemps été oubliée, est bouleversant. Entre la fiction et le documentaire, une création portée par la Cie Tetra Art.
MARYVONNE COLOMBANI
Mars 2014
le 3 avril
Salle
Emilien Ventre, Rousset http://www.rousset-fr.com/
RESERVATION :
04.42.29.82.53
Parcours de mémoire et de résistance pendant la Seconde Guerre mondiale à Bruxelles.
Pour Jean Zay, contre les haines
Les panthéonisations sont toujours des choix qui procèdent à des découpes dans le passé et tiennent un discours sur le présent. En la matière, rien ne s’impose, et le débat est bien légitime. Ainsi certains demandent que Jean Zay (1904-1944), ancien ministre du Front populaire (1936) assassiné par la Milice, soit retiré de la liste établie par le président de la République.
Jamais, cependant, je n’aurais imaginé que ce projet fasse renaître aujourd’hui les haines de l’entre-deux-guerres, haines que Jean Zay subit alors parce que d’origine juive (et protestante), parce que franc-maçon, parce que républicain de gauche et de conviction, partisan de la fermeté face à la montée des fascismes. Au sommet de l’abjection, on trouve Céline, qui stigmatisait le « négrite juif Jean Zay » pour conclure ce passage de L’Ecole des cadavres (1938) par « Je vous Zay ». L’écrivain Marcel Jouhandeau, lui, dénonçait le ministre de l’éducation (qui porta la scolarité obligatoire jusqu’à 14 ans) : « (…) détruire, (…) c’est le fort du juif ».
Parmi les arguments que l’extrême droite utilisa contre Zay tout au long de sa courte carrière, figure le contenu d’un poème-pastiche que celui-ci écrivit à 19 ans, en 1924, dont on trouve le texte complet et l’analyse dans la biographie récente d’Olivier Loubes (Jean Zay, Armand Colin, 2012). Ce qui frappe avant tout dans ce texte, c’est la haine de la guerre qui s’y exprime. Cinq ans après l’Armistice, dans une France meurtrie qui a perdu 1,4 million d’hommes, nombreux sont ceux qui, sous de multiples formes, clament l’horreur du conflit passé et du militarisme : « Quinze cent mille morts (…) éventrés, déchiquetés, anéantis dans le fumier d’un champ de bataille (…) que leurs amours ne reverront plus JAMAIS », écrit le jeune Zay, fils d’ancien combattant, dans ce jeu littéraire.
RÉSISTANCE
Ce rejet massif de la guerre en a conduit plus d’un à la grandiloquence, voire à l’outrance et, chez Zay, à mettre en cause le drapeau français, « cette saloperie tricolore ». Que n’a-t-il pas subi pour ce texte non destiné à la publication et dévoilé par malveillance, pour des propos de jeune homme, bien compréhensibles dans le contexte des années 1920 ? Il s’en est expliqué franchement et publiquement, en 1936 notamment, refusant de faire sien le contenu du pastiche. Mais peu importe : pour les conservateurs sans scrupule et les antisémites, il sera toujours l’auteur de ces vers contre le drapeau.
Peut-être ceux qui expriment leur opposition à l’entrée de Jean Zay au Panthéon feraient-ils bien de relire les attaques des années 1930 pour comprendre quel héritage ils perpétuent. Peut-être feraient-ils bien de reprendre l’histoire de l’après-guerre pour comprendre la force du pacifisme et de l’antimilitarisme de l’époque. Peut-être, enfin, feraient-ils bien de relire la biographie de Jean Zay pour mesurer combien, dans la tourmente des années 1930 puis de Vichy, il fit preuve de résistance, justement au nom de la « loyauté » de son « patriotisme », selon ses propres mots.
Mais il leur reste encore une chance. Car Belin vient de rassembler ses Ecrits de prison dans une superbe édition. Zay fut emprisonné par le régime de Vichy dès août 1940 : « Les souffrances morales sont d’ailleurs plus dures que les souffrances physiques ou matérielles », note-t-il en décembre, devant l’accusation de désertion que fabrique le gouvernement pour charger le soldat Jean Zay. L’écrit et l’écriture jouèrent un rôle central pour l’aider à tenir jusqu’à son assassinat par des miliciens : lettres, carnets, notes dont un volume passionnant et émouvant, au titre explicite, Souvenirs et solitude (réédité en poche chez Belin). Face à ceux qui clament aujourd’hui encore « Je vous Zay », relisez-le, c’est la meilleure réponse.
Ecrits de prison. 1940-1944, de Jean Zay, Belin, 1 054 p., 34 €.
- Nicolas Offenstadt
Journaliste au Monde
D’un Drapeau l’autre. Jean Zay, le Panthéon, la Patrie, la République.
L’entrée de Jean Zay au Panthéon semble provoquer une polémique dans des milieux « patriotiques » autour d’un texte rédigé en 1924 intitulé « Le drapeau »[1].
Si ce poème n’a jamais posé de problème « patriotique » aux républicains qui le connaissent, il reste un marqueur de haine pour les antirépublicains et il peut s’avérer un objet de doute pour ceux qui découvrent un texte pourtanttypique des années 1920. Biographe de jean Zay, c’est à ces derniers surtout que je voudrais m’adresser, en historien.
Le drapeau que Zay écrit à 19 ans en 1924 à l’occasion d’un jeu littéraire d’étudiant est un poème en prose, humaniste, empli de la fureur d’une génération qui rejette la culture de guerre après y avoir adhéré de tout son cœur à l’école de 14-18. Le drapeau tel que l’utilisent ses ennemis, ceux de la République, à partir de 1932, est un instrument de haine avec lequel ils le mirent à mort en parole puis en acte. Confondre les deux c’est oublier que Le drapeau des seconds contribua puissamment à l’assassinat de Zay par les Miliciens de la dictature de Vichy. C’est aussi entretenir la confusion, détestable, selon laquelle les victimes doivent sans cesse se justifier face aux accusations iniques portées par leurs bourreaux qui s’en trouvent ainsi inlassablement validées.
Pour comprendre les codes culturels du Drapeau de 1924 il faut le lire dans la série de ce que Zay et ses contemporains écrivaient. Alors oui, il se termine par : « Laisse moi, ignoble symbole, pleurer tout seul, pleurer à grands coups, les quinze cent mille jeunes hommes qui sont morts et n’oublie pas, malgré tes généraux, ton fer doré, et tes victoires, que tu es pour moi de la race vile des torche-culs. ». Mais rien dans ces termes ne surprend ceux qui fréquentent les textes de ces années là. De Prévert aux surréalistes on retrouve avec la même virulence la détestation de la guerre et de son drapeau. Le drapeau de Zay c’est « l’ignoble symbole » de la guerre ennemie de l’Humanité et de la Civilisation : « je hais en toi toute la vieille oppression séculaire, le dieu bestial, le défi aux hommes que nous ne savons pas être ». Le credo de Zay en 1924 c’est l’humanisme pacifiste, celui de Lamartine écrivant La marseillaise de la paix, le même Lamartine qui fit définitivement du tricolore le drapeau de la République en 1848.
Le Panthéon n’est pas là pour honorer les grands soldats, ni les anciens combattants : c’est le rôle des Invalides et des monuments aux morts. Il accueille les Grands Hommes de la Patrie. Depuis plus d’un siècle il s’agit de la Patrie républicaine. Voilà pourquoi on y trouve Jaurès. Si on doit en chasser les pacifistes humanistes, ceux qui refusent de trouver humaines les guerres d’anéantissement alors chassons-en Jaurès aussi. Jean Zay, héros civil victime d’incarner la République, permet de dire ce qu’est la patrie républicaine à double titre : grâce à tout ce qu’il a fait, au cœur du projet républicain pour la démocratisation de l’école et de la culture, en Ferry du Front populaire, à cause aussi de tout ce qu’on lui fit, comme Dreyfus de Vichy. Il permet d’identifier clairement comme héros ceux qui comme lui construisirent et défendirent la France républicaine, au sacrifice de leur vie, contre tous ceux qui la niaient dans un essentialisme de haine où l’on ne pouvait être ni français ni patriote si l’on était protestant, juif, franc-maçon et de front populaire.
En un temps on l’on parle de crise des « valeurs républicaines », dans le relativisme ambiant de la France de 2014, le grand mérite civique du drapeau de Zay est qu’il nous aide à identifier et combattre tous les porteurs de drapeaux ennemis de la France républicaine, à différencier les patriotes des antipatriotes, les antifascistes des fascistes, l’esprit de résistance de l’esprit de collaboration. Il nous permet de donner l’exemple de « l’homme qu’il sut être » : un républicain et un patriote qui sut s’engager à l’âge d’homme dans la guerre contre les fascismes totalitaires alors qu’il aimait tant la Paix depuis sa jeunesse. Ce n’est pas sans vertu patriotique.
Olivier Loubes, historien, biographe de Jean Zay, l’oublié de la République, Armand Colin, 2012. Vient de participer à l’édition de Jean Zay. Ecrits de prison 1940-1944, Belin, 2014.
Sur Le Drapeau :
- Loubes Olivier, « D’un drapeau l’autre. Jean Zay (1914-1940) », Vingtième siècle, revue d’histoire, n° 71, juillet-septembre 2001. p. 37-51.
- Loubes Olivier, « Derrière l’étendard du pastiche », Prost Antoine (dir.), Jean Zay et la gauche du radicalisme, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, p. 99-111.
Le Journal du C.N.R.S publie
Jean Zay au Panthéon
un article d’Antoine PROST
Professeur émérite
Président du conseil scientifique du centenaire de la Grande Guerre, Antoine Prost est professeur émérite au Centre d’histoire sociale du XXe siècle (CNRS/Univ. Paris-I).
10.04.2014,
Les cendres de Jean Zay, illustre ministre de l’Éducation nationale et artisan de la création du CNRS, entreront au Panthéon dans un an, en mai 2015. Portrait de ce grand homme, victime de ses engagements et de ses convictions, arrêté par le régime de Vichy et assassiné par des miliciens.
La panthéonisation de Jean Zay honore à la fois le grand ministre de l’Éducation nationale du Front populaire et le républicain décidé à résister à Hitler, victime de ses engagements et de ses convictions.
Né en 1904 à Orléans, d’un père journaliste et d’une mère institutrice, Jean Zay avait commencé une brillante carrière d’avocat avant d’être élu député en 1932, à 28 ans. Il fut l’un des artisans du ralliement du Parti radical-socialiste au Front populaire. Sous-secrétaire d’État à la présidence du conseil depuis janvier 1936, réélu en mai, il avait fait le lien entre le gouvernement sortant qui expédiait les affaires courantes et le nouveau gouvernement, qui ne pouvait être investi que début juin. Mais les affaires courantes ne l’étaient guère : c’étaient les grèves et les occupations d’usine. Ces circonstances exceptionnelles permirent à Léon Blum d’apprécier son intelligence et son sens politique. Aussi lui confia-t-il l’Éducation nationale ; il n’avait pas encore 32 ans. Il y réussit si bien qu’il fut reconduit jusqu’à sa démission, à la déclaration de guerre.
La culture et le sport entrent à l’école
Jean Zay a laissé au ministère de l’Éducation nationale un souvenir lumineux. Il est le seul qui ressorte dans la grisaille des ministres de l’entre-deux-guerres. Sa réussite s’explique par la conjonction d’un projet et d’un style, nous dirions un mode de gouvernance. Le projet est celui des républicains : prolongation de la scolarité et démocratisation. Le style est pragmatique et libéral : il ne réforme pas d’en haut, il fait appel à la base, expérimente, mobilise, puis encadre et réglemente.
La prolongation de la scolarité est décidée par une loi du 9 août 1936, qui porte, dès la rentrée, l’obligation scolaire de 13 à 14 ans. Au lieu de définir aussitôt par circulaire le contenu et les programmes de cette année de fin d’études primaires, Jean Zay laisse « toute liberté d’initiative » aux instituteurs. Il se contente de leur fixer la triple mission d’assurer dans ces classes un complément d’instruction, une initiation à la culture et une orientation professionnelle. Les programmes viendront plus tard. Il agit de même pour introduire trois heures d’éducation physique dans le primaire : il lance une expérimentation dans trois départements, puis dans vingt-neuf. Les activités dirigées, les classes promenades, l’étude du milieu par l’observation active sont développés de la même façon, avant d’être intégrées à de nouvelles instructions officielles en septembre 1938.
La démocratisation consistait à mettre fin à la structure de classe de l’enseignement français. Il y avait à l’époque deux filières cloisonnées, le primaire pour le peuple, le secondaire pour les classes privilégiées. Un tout petit secondaire d’ailleurs : 10 000 professeurs et 250 000 élèves. Le secondaire avait son propre primaire, payant : les petites classes, de la 12e à la 7e, qui représentaient près du tiers des élèves. Le primaire avait développé son propre secondaire, gratuit, avec les cours complémentaires et les écoles primaires supérieures, de la même façon qu’aujourd’hui les lycées ont développé leur propre supérieur, avec les classes préparatoires et celles de techniciens supérieurs. Le projet consistait à unifier l’enseignement élémentaire, pour créer un premier degré, et à organiser un second degré diversifié, incluant les anciennes classes primaires supérieures. Le remplacement des anciennes désignations primaire et secondaire par les nouvelles, premier et second degrés, n’est pas une coquetterie linguistique : elle signe un changement de structure.
Un souffle nouveau sur l’Éducation nationale
Ce projet de loi déposé en mars 1937 a beaucoup heurté les défenseurs du secondaire traditionnel, puissants à la Chambre, qui l’ont de fait enterré : en septembre 1939, il n’avait toujours pas été discuté. Mais Jean Zay n’avait pas attendu pour réaliser par décret ce qui pouvait l’être. Il a réorganisé l’administration centrale, avec une direction du premier degré, compétente pour les petites classes des lycées, et une direction du second degré, compétente pour l’enseignement primaire supérieur. Il a donné des programmes communs aux quatre années d’enseignement primaire supérieur et au premier cycle du second degré, préfigurant ainsi nos collèges. Il a surtout expérimenté une classe de 6e d’orientation, avec l’objectif de proposer aux familles une orientation entre le classique, le moderne et le technique. C’était un « tronc commun » d’où devaient partir les branches. Pour cela, il fallait observer les élèves, et donc leur proposer une gamme plus large d’exercices, et un fonctionnement différent, avec des études de milieu, du travail d’équipe, des activités artistiques et manuelles. Cette innovation a été préparée par un stage, suivie et analysée. Les leçons qui en ont été tirées ont présidé après la guerre à l’organisation des classes nouvelles, qui constituent sans doute ce que la France a fait de mieux en matière de pédagogie.
Jean Zay a ainsi fait passer sur l’Éducation nationale un souffle nouveau. Ce fut un des rares ministres à laisser un souvenir, dont témoignent les écoles, collèges et lycées qui ont pris son nom. Et de ce bon souvenir, il a lui-même reçu le témoignage. Dans une lettre de septembre 1939, alors qu’il a rejoint l’armée, il écrit : « Souvent des universitaires, des instituteurs anonymes sortent des rangs pour me serrer la main. Quatre ans de gouvernement ne m’ont rien procuré dont je puisse être plus fier. » Et Célestin Freinet lui décerne un compliment d’autant plus remarquable qu’il en est avare : « Si nous avions, dans l’histoire de l’évolution scolaire française, quelques lustres aussi riches en innovations hardies que les deux dernières années, il y aurait bientôt quelque chose de changé dans l’éducation française. »
Mais Jean Zay ne s’est pas limité à l’éducation. Il a jeté les bases d’un réseau de centres d’orientation, en rendant obligatoire la consultation d’un centre avant tout contrat d’apprentissage. Il a aussi fondé la politique de recherche, avec comme secrétaires d’État d’abord Irène Joliot-Curie, puis Jean Perrin, et le début d’une administration. C’est lui qui a fondé le CNRS, même si le décret de création est signé par son successeur un peu plus tard. Comme ministre de l’Éducation nationale, il était en outre chargé des Beaux-Arts, de ce qui relève aujourd’hui de la Culture, et il a multiplié les initiatives, créant la réunion des théâtres nationaux, le musée des arts et traditions populaires et le festival de Cannes, qui aurait dû avoir lieu pour la première fois en septembre 1939 s’il n’y avait eu la guerre.
Condamné par le régime de Vichy
On connaît la fin sinistre de l’histoire. Dans le gouvernement de l’époque, qui signe les accords de Munich, Jean Zay est partisan de faire face à l’Allemagne hitlérienne. En septembre 1939, alors qu’il pouvait rester ministre, il démissionne et rejoint l’armée comme sous-lieutenant du train. Apprenant que les Chambres se réunissent à Bordeaux, il s’y rend et, le gouvernement ayant décidé de poursuivre la lutte depuis l’Afrique du Nord, il s’embarque sur le Massilia pour gagner le Maroc, le président de la République devant rejoindre Port-Vendres puis Alger. Mais Laval retourne le Président, le gouvernement renonce à son projet de résistance et le vote du 10 juillet 1940 donne les pleins pouvoirs à Pétain. Arrêté au Maroc, transféré en France, Jean Zay est condamné par un tribunal militaire à la réclusion à perpétuité pour « abandon de poste en présence de l’ennemi », alors qu’au moment où il avait quitté son unité, avec l’accord de ses chefs, les Allemands étaient 90 kilomètres de là ! C’était un jugement purement politique. Le régime de Vichy réglait son compte à un juif – il ne l’était pas, mais la propagande antisémite l’avait pris pour cible –, à un franc-maçon, au grand maître d’une université dont il rendait les instituteurs pacifistes responsables de la défaite, au républicain du Front populaire qui avait voulu résister à Hitler.
Devant l’impossibilité de le transférer à l’île du Diable comme Dreyfus, le dernier condamné à cette peine, Vichy l’emprisonna à Riom. Il y écrivit alors un livre attachant, Souvenirs et solitude, où, dans un style limpide, il mêle des réflexions ironiques ou profondes, des notations sur la vie de la prison, des témoignages sur son expérience politique. Il communiqua, on ne sait comment, à une organisation de résistance un projet de ministère de la vie culturelle qui fut publié par un cahier clandestin. Sa femme, ses deux filles et son père l’avaient rejoint à Riom, et il connut dans sa cellule en 1942 une vie de famille un peu étrange, avant que son régime ne se durcisse radicalement.
Assassiné et jeté dans un trou
Sans doute aurait-il pu s’évader, mais la crainte des représailles sur les siens l’en dissuada. Et, le 20 juin 1944, des miliciens vinrent le chercher sous prétexte de le transférer dans une autre prison, puis ils l’assassinèrent dans un bois et jetèrent son corps dans un trou, sans vêtements ni rien qui puisse l’identifier. Quand des chasseurs le découvrirent deux ans plus tard, il fut donc enterré anonymement à Cusset. C’est en 1948 seulement que le témoignage de son assassin, arrêté en Amérique latine sans qu’on sût qu’il l’était, permit de donner son nom à sa dépouille. Elle fut honorée à Paris, dans la crypte de la Sorbonne, où reposent des membres de toute l’Université française victimes des nazis, avant d’être inhumée à Orléans. Lumineux, le souvenir de Jean Zay est aussi tragique.
Mais il s’inscrit pleinement dans la tradition républicaine. Jean Zay est dans la continuité de son père, qui fonda un journal dreyfusard. Il est dans la continuité de Jules Ferry qui, contrairement à ce qu’on croit, loin de limiter l’enseignement primaire au lire, écrire et compter, voulait en faire un enseignement pleinement libéral – les mots sont de lui – , largement ouvert à la culture. Il s’inscrit dans une tradition pédagogique qui va de l’exemple à la règle, qui attend beaucoup de l’activité des élèves, de leur travail, et qui ne confond pas faire classe et faire cours. L’école, pour ce ministre supérieurement intelligent et cultivé qui avait le culte de l’intelligence, ne se bornait pas à instruire : pour citer les derniers mots des instructions de 1938, elle devait développer chez les élèves « les dons de corps, de cœur et d’esprit qui font les travailleurs, les citoyens, les hommes véritables ». Parce qu’elle était républicaine, elle devait être une œuvre d’éducation. En ce sens, la mémoire de Jean Zay est aussi un programme.
À voir aussi sur https://lejournal.cnrs.fr/billets/jean-zay-au-pantheon: cet extrait du film Un crime français dans lequel les historiens Antoine Prost et Anne Simonin commentent l’arrestation de Jean Zay par le régime de Vichy.
Antoine Prost
Ecouter l'hommage du CNRS: Jean Zay est considéré comme l'un des fondateurs du CNRS. Cette journée spéciale à Orléans, sa ville natale, lui rend hommage http://laradio.cnrs.fr/broadcast/735-Hommage-%C3%A0rezgreg#