Les geôles de Jean Zay à Marseille
Description par Jean Zay :
Vous trouverez ci-dessous le plan authentique avec dans la cour nord les 10 casemates décrites par Jean ZAY dans son livre "Souvenirs et Solitude", écrit en prison - après avoir été arrêté au Maroc où il était parti en juin 1940 avec 27 parlementaires dont Pierre MENDES-FRANCE, pour aller continuer le combat.
"Jeudi 7 décembre 1940"
A 4 heures du matin, sous la conduite d'un lieutenant de gendarmerie, que reforcent un brigadier et deux gendarmes - je ne me savais pas si dangereux -, j'ai quitté Clermont-Ferrand.
.../...
A la gare de Clermont, sinistre dans la nuit, sous ses haillons de neige sale, un ami, que j'avais alerté ... réussit à m'approcher quelques secondes et me souffle que je pars pour la Guyane : pour l'île du Diable même...
La Guyane ! C'est le lieu ordinaire de la déportation. L"île du Diable ! Quelle brusque évocation...
.../...
Nous arrivons à Marseille ... On me conduit directement au Haut-Fort Saint-Nicolas ... Il y souffle une bise glacée. Fit-il jamais si froid à Marseille ? Le directeur, corse et capitaine, me laisse entendre que c'est par faveur qu'il ne me fait pas raser les cheveux et fouiller à corps... "Ne vous plaignez pas, dit-il, vous allez avoir une cellule toute neuve"
Nous traversons quelques cours, où tournent en rond des prisonniers transis, et nous arrivons de l'autre côté du fort, sur le flanc nord, exposé au mistral et aux rafales maritimes, à la "cour nord". C'est un quadilatère dallé, fermé de murs interminables et sur lequel s'ouvrent douze cellules. Elles sont neuves, en effet. La mienne mesure environ trois mètres sur cinq.
.../...
Quand on referme la porte de fer et comme il n'est guère que 4 heures, je m'aperçois qu'une obscurité presque complète règne dans ce réduit : c'est qu'il n'y a point de fenêtre, seulement un étroit vasistas près du plafond et le verre grillagé en est dépoli.
.../...
8 décembre 1940 :
Je n'ai point dormi .../... La "cour nord" est un entonnoir glacial où tourbillonne un vent glacial, qui pénètre à son aise sous la porte et par le vasistas disjoint.
.../...
9 décembre 1940:
Sous la surveillance d'un ex-adjudant corse - tout le personnel serait-il corse ? - qui dissimule mal sous sa pèlerine un énorme et ridicule pistolet d'opérette, j'ai maintenant droit à deux "promenades" par jour : une heure le matin, une heure le soir. Elles ont lieu dans la cour qui sépare les deux rangées de cellules. Mais, il faut le pas accéléré pour supporter le vent et les rafales de neige. Encore est-ce une faveur, paraît-il, car, d'ordinaire, les prisonniers ne doivent prendre l'air que dans un emplacement de deux mètres sur trois à peu près, à ciel ouvert mais ceint de murs bas, qui précède chaque cellule comme une antichambre dérisoire. Il est impossible de s'y mouvoir à moins de trouner sur soi-même. Le surveillant, qui me parle parfois à la dérobée, jetant ses paroles comme aune aumône, déclare que certains détenus ont habité de longs mois dans la "cour nord", quelquefois plus d'un an, mais le cas est rare, car c'est en principe la cour des condamnés à mort.
.../...
12 décembre 1940
Le surveillant m'annonce que je vais changer de cellule.
13 décembre 1940
J'ai quitté hier soir, assez tard, la "cour nord". Me voici de l'autre côté du fort Saint- Nicolas. Ma nouvelle cellule n'est pas neuve, Dieu merci ! mais ce n'est guère une cellule à vrai dire, plutôt une cage.
Sous les voûtes en ogive très élevées de cette partie du fort, qui font ressembler ce long couloir à la nef latérale et obscure d'une église de campagne, ont été construites d'étroites cellules, fermées sur trois côtés par une cloison et sur le quatrième par une grille. .../... Un épais grillage tient lieu de plafond. [Bastion 024 sur le plan ????]
.../... Je ne suis plus seul, car toutes les cages qui m'environnent sont habitées et le soir, après la dernière ronde, on se parle à travers les cloisons, par-dessus les cloisons plutôt, car les voix montent directement jusqu'à la voûte.
14 décembre 1940
Ma soeur est venue me voir ce matin. Si, pendant ces dix minutes, nous nous sommes à peu près entendus, par contre nous ne nous sommes pas vus. Les deux grilles réglementaires sont remplacées ici par deux murs épais. Les ouvertures étant étroites et taillées en meutrières, on aperçoit une tache claire en face de soi, au delà du couloir de surveillance qui sépare les deux murs. .../...
24 décembre 1940
Couché sur le dos, dans ma minuscule cellule qui ressemble à une boîte sans couvercle, je contemple la voûte lourde et élevée; des reflets de lune se jouent sur le pierres blanchies à la chaux, leur donnant une profondeur étrange et l'on dirait la plafond "atmosphérique" d'un cinéma parisien dernier cri.
Voir aussi notre page: http://www.jzayenp.fr/432560749
Récit par les visiteurs du Cercle Jean ZAY d'Orléans
Mardi 14 mars 2017, rendez-vous à 14h30 à l'entrée du Fort d'Entrecasteaux.
Monter sous le soleil.
Du Haut-Fort Saint-Nicolas, panorama estival : Vieux Port tout de plaisance, Fort Saint-jean et Mucem, plus loin les docks, la côte vers l'Estaque fond dans la brume de chaleur …
Jacques Misguich est là, dont l'efficacité de l'engagement a permis d'organiser cette visite avec l'Association Acta Vista qui met en œuvre des chantiers d 'insertion et de formation professionnelle aux métiers du patrimoine et, dans ce cadre, restaure, magnifiquement, le site. Grand merci à lui, donc, et à Mesdames Demotes-Mainard (d'Acta Vista) et Guérin (architecte du patrimoine) qui nous ont consacré plus de deux heures et dont la disponibilité, l'enthousiasme et les compétences ont comblé les onze « visiteurs » que nous étions, des associations « Jean Zay en Provence – Pédagogie, Mémoire et Histoire », « Résister aujourd'hui » et du « Cercle Jean-Zay d'Orléans ».
Chantier oblige, nous portons un casque.
Grand beau temps sur Marseille. Marcher dans la Cour Nord, en tête les premières pages de Souvenirs et solitude, les mots de Jean Zay, froid faim fièvre froid détenu au pied gelé suicides. Cour des condamnés à mort, cachots, cellules, boyaux, grillages, doubles barreaux, il fait soudain froid dans la lumière qui blondit la pierre.
Durant un mois de l'hiver 1940-1941 Jean Zay fut ici incarcéré , où précisément ? Est-il vraiment nécessaire de repérer les deux lieux exacts de sa détention ? Y sentirions-nous davantage sa présence ? C'est nous qui la portons, venant à sa rencontre, et son livre, non pas bréviaire de pèlerins mais manuel de Résistance, dans ces lieux de souffrances anonymes partagées, ici, d'où il ne sortira pas pour l'île du Diable mais pour Riom, pour l'assassinat …
Nicole Debrand
Cercle Jean-Zay d'Orléans
Ci-joint, des photos prises par Françoise Collin, du Cercle Jean-Zay d'Orléans.